Le fluor est un sujet qui divise : indispensable pour protéger vos dents des caries, mais accusé de nuire à la santé lorsqu’il est consommé en excès. De nombreuses idées circulent, parfois basées sur des faits scientifiques, parfois sur des croyances ou des interprétations spirituelles.
Alors, que faut-il vraiment savoir avant de choisir un dentifrice ou d’éviter le fluor à tout prix ?
Le fluor, allié de l’émail dentaire
Le fluor a une action bien connue : il renforce l’émail et protège contre les caries. Cependant, à forte dose, il provoque une fluorose dentaire, avec des taches brunes ou noires, qui altèrent l’esthétique du sourire même si les dents restent résistantes aux caries (1).
La fluorose fut décrite pour la première fois au Colorado au début du XXe siècle, où 90% des enfants de Colorado Springs présentaient ces taches, tout en étant étonnamment protégés des caries (2).
Ces observations ont conduit les autorités américaines à ajuster le dosage : environ 1 mg de fluor par litre d’eau semblait suffire pour protéger l’émail sans provoquer de fluorose. Dès 1945, certaines villes ont commencé à fluoriser leur eau potable, avec une réduction de 60 % des caries chez les enfants (3).
Aujourd’hui, peu de pays européens ajoutent du fluor dans l’eau, la France y compris. L’usage du dentifrice fluoré, généralisé depuis plusieurs décennies, est jugé suffisant pour assurer une protection efficace.
Les perturbateurs endocriniens cachés dans votre dentifrice
Si le fluor est protecteur, le dentifrice moderne soulève d’autres inquiétudes. Les agents moussants comme le sodium lauryl sulfate (SLS) ou le sodium laureth sulfate (SLES) sont utilisés pour donner cette mousse abondante. Or ces substances sont considérées comme des perturbateurs endocriniens, capables d’interférer avec l’équilibre hormonal (4).
Ces xénoœstrogènes, perçus par le corps comme des hormones féminines, peuvent altérer la fertilité, perturber les cycles menstruels, ralentir la puberté chez les garçons ou accélérer la baisse de testostérone chez les hommes (5). On parle même de phénomène de "dévirilisation".
Le SLS a montré une toxicité avérée à forte concentration, mais ses effets chroniques restent mal documentés (6). Quant au triclosan, présent dans certains dentifrices comme antibactérien, il est également suspecté d’être un perturbateur endocrinien (7).
Ces données expliquent pourquoi les dentifrices bio, sans agents moussants agressifs ni triclosan, rencontrent un succès croissant, même si leur teneur en fluor est souvent plus faible.
Fluor et glande pinéale : mythe ou réalité ?
Au-delà des caries, le fluor intrigue par son lien avec la glande pinéale, petite glande endocrine impliquée dans la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. Des travaux ont montré que le fluor pouvait s’accumuler dans la glande pinéale et réduire la production de mélatonine, entraînant notamment une puberté plus précoce chez les animaux de laboratoire (8).
On comprend que ce type de résultat alimente de nombreux discours spiritualistes qui associent la glande pinéale à des dimensions plus symboliques.
Mais sur le plan strictement scientifique, il s’agit surtout d’un questionnement autour de la toxicité cumulative du fluor dans certains tissus du corps (9).
Fluor : pas un nutriment essentiel
Un autre point avancé par les détracteurs du fluor est qu’il ne s’agit pas d’un nutriment essentiel. Il n’existe pas de carence en fluor : une alimentation équilibrée n’en nécessite pas, contrairement au calcium ou à la vitamine D. En revanche, un excès chronique peut poser problème, car seulement la moitié du fluor ingéré est éliminée par les reins ; le reste s’accumule dans les os, la glande pinéale et d’autres tissus (10).
C’est un enjeu majeur dans certaines régions du monde, notamment en Afrique et en Asie, où les eaux souterraines sont naturellement riches en fluor. On parle de véritables "ceintures fluorées" traversant plusieurs continents, où la fluorose sévère est fréquente (11).
Caries ou insomnie ? La voie de la modération
Faut-il pour autant bannir le fluor ? Probablement pas. Les caries sont loin d’être anodines : elles entraînent infections, douleurs chroniques, voire septicémies lorsqu’elles ne sont pas soignées (12). L’apport de fluor à faible dose reste une arme efficace de prévention, qui a permis une baisse spectaculaire des caries dans le monde entier.
Le véritable enjeu est celui de la dose et de l’exposition cumulée. Utiliser un dentifrice au fluor adapté, mais sans agents moussants ou antibactériens suspects, semble aujourd’hui le compromis le plus raisonnable.
La modération, comme souvent en santé, reste la meilleure stratégie !
Sources
- Fejerskov O. Dental fluorosis: a handbook for health workers. Munksgaard, 1988.
- Emslie RD. Dental mottling in Colorado Springs. J Am Dent Assoc. 1937.
- McDonagh MS et al. Systematic review of water fluoridation. BMJ. 2000;321:855–859.
- Lawrence RS et al. Sodium lauryl sulfate and oral mucosal irritation. J Am Dent Assoc. 1996.
- Diamanti-Kandarakis E et al. Endocrine-disrupting chemicals: an Endocrine Society statement. Endocr Rev. 2009.
- National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH). Sodium lauryl sulfate profile. 2018.
- Weatherly LM, Gosse JA. Triclosan exposure, transformation, and human health effects. J Toxicol Environ Health B. 2017.
- Luke J. Fluoride deposition in the aged human pineal gland. Caries Res. 2001;35(2):125–128.
- Grandjean P, Landrigan PJ. Neurobehavioural effects of developmental toxicity. Lancet Neurol. 2014.
- Undi M. Fluoride toxicity: global scenario and health implications. Environ Geochem Health. 2019.
- World Health Organization. Fluoride in Drinking-water. 2001.
- Kassebaum NJ et al. Global burden of untreated caries. J Dent Res. 2015.
